La semaine du droit des entreprises en difficulté

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25/05/2020
Affaires - Commercial

Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit des entreprises en difficulté.
Redressement judiciaire – saisie conservatoire de créances – abus
« Selon l’arrêt attaqué (Metz, 15 mai 2018), que par un contrat du 26 juillet 2004, la société civile immobilière La Brosse (la SCI La Brosse) a confié à la société Entreprise de travaux industriels et publics (la société Etip) l’exécution de travaux de construction d’ouvrage pour le prix de 2 631 200 euros ; que la SCI La Brosse n’ayant procédé à aucun paiement au titre de ce contrat, un jugement mixte du 8 décembre 2005, confirmé par un arrêt du 26 juillet 2011, devenu irrévocable, a condamné la SCI La Brosse à payer à la société Etip la somme de 800 000 euros au titre des travaux exécutés ; qu’en 2011, la SCI La Brosse est devenue la SARL KM ; qu’une ordonnance du juge de la mise en état du 26 août 2015 a condamné la SARL KM à payer à la société Etip une provision de 876 000 euros au titre des travaux réalisés ; que le 18 novembre 2015, la SARL KM a été mise en redressement judiciaire ; qu’un arrêt du 17 décembre 2015 a réduit à 800 000 euros le montant de la provision allouée à la société Etip par l'ordonnance du 26 août 2015 ; que le 2 juin 2016, la société Etip a assigné M. X… et la société Manulor en leur qualité d'associés de la SCI La Brosse, devenue la SARL KM, afin de les voir condamner à payer le passif de celle-ci, d’un montant de 800 000 euros, au prorata de leur participation au capital social ; que par une première ordonnance, le juge de l’exécution a autorisé la société Etip à pratiquer une saisie conservatoire de créances sur les comptes bancaires de M. X… ; que par une seconde ordonnance, ce juge a autorisé la société Etip à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur des biens immobiliers de la société Manulor et à pratiquer une saisie conservatoire de créances et de droits d'associés détenus par cette société ; qu’en vertu des autorisations judiciaires ainsi obtenues, la société Etip a fait procéder à des mesures conservatoires ; que la société Manulor et M. X… ont assigné la société Etip en abus de mesures conservatoires et en annulation desdites mesures ; que le juge de l’exécution ayant rejeté leurs demandes, la société Manulor et M. X… ont relevé appel de son jugement ; qu’au cours de l’instance d’appel, le 10 mai 2017, la SARL KM a bénéficié d’un plan de redressement incluant la créance de la société Etip ;
 
Mais lorsque le juge de l’exécution est saisi de la contestation d’une mesure conservatoire diligentée, sur le fondement de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d'exécution, par le créancier d’une société civile contre les associés tenus indéfiniment des dettes sociales en application de l’article 1857 du Code civil, il doit seulement rechercher l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe contre la société et l'apparence d'une défaillance de celle-ci, cette apparence pouvant résulter, notamment, du risque d'inexécution du plan de redressement de la société, de sorte que, l'article 1858 du Code civil étant inapplicable dans cette hypothèse, il n'est pas tenu de vérifier si sont remplies les conditions posées par ce dernier texte pour poursuivre les associés en paiement des dettes sociales ; que le moyen n’est pas fondé ».
Cass. com., 25 mars 2020, n° 18-17.924, P+B *
 

Procédure d’insolvabilité – compétence – État membre de l’Union européenne
« Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 mai 2016) et les productions, le 7 août 2008, la société de droit allemand Wirecard a obtenu d’un juge anglais une mesure de gel des avoirs de M. X..., ressortissant néerlandais. Ce dernier était alors propriétaire sur le territoire français d’un appartement et d’un ensemble immobilier. Le 22 août 2008, M. X... et sa sœur, Mme X... épouse Y... (Mme X...), ont signé devant un notaire français un acte de reconnaissance de dette par lequel M. X... reconnaissait devoir à Mme X... la somme de 500 000 euros pour divers prêts, s’engageait à rembourser cette somme au plus tard le 22 août 2017 et hypothéquait au profit de Mme X... en second rang les biens ci-avant. Le même jour, ils ont inscrit sur lesdits biens les deux hypothèques conventionnelles. Les 18 et 24 mars 2010, M. X... a vendu à la SCI Tiger, constituée le 25 février précédent avec sa sœur, cette dernière en détenant 90 %, l’appartement et l’ensemble immobilier moyennant respectivement les prix de 395 000 euros et 790 000 euros.
Le 10 mai 2011, M. X... a été déclaré en faillite à sa demande par la County Court de Croydon au Royaume-Uni en application du Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité et de la section 271 de la loi britannique sur les faillites de 1986 (Insolvency Act de 1986) et le 1er juillet 2011, M. Z..., de la société Grand Thornton, a été désigné syndic de la faillite de M. X... avec effet au 6 juillet 2011. A la demande de M. Z..., ès qualités, la County Court de Croydon a, le 26 octobre 2011, autorisé l’initiative de procédures judiciaires pour, d’une part, entreprendre une action devant les juridictions françaises pour faire enregistrer l’ordonnance de faillite, d’autre part, obtenir une décision qui dise pour droit que l’hypothèque inscrite au profit de Mme X... le 22 août 2008 et les transferts des propriétés à la SCI Tiger des 18 et 24 mars 2010 étaient constitutifs de transactions sans contrepartie réelle ou significative conformément aux dispositions de la section 339 de la loi sur les faillites de 1986 et, par conséquent, obtenir une décision permettant la réintégration de ces propriétés dans le patrimoine du débiteur puis leur réalisation.
Le 12 décembre 2011, M. Z..., ès qualités, a assigné M. X..., Mme X... et la SCI Tiger devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir déclarer inopposables à la masse de la faillite les hypothèques conventionnelles inscrites le 22 août 2008 et la vente des biens immobiliers situés en France. La société Banque patrimoine immobilier (la BPI), qui avait financé l’acquisition de ces biens, est intervenue à l’instance. Par un jugement du 19 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré recevable l’action de M. Z..., ès qualités, et jugé que les hypothèques et les ventes étaient inopposables à celui-ci, dans la limite des sommes restant dues aux créanciers. La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement, sauf sur la limitation de l’inopposabilité aux sommes restant dues aux créanciers et, statuant à nouveau de ce chef, a dit que l’inopposabilité des deux hypothèques et des deux ventes à M. Z..., ès qualités, n’était pas limitée de la sorte. Par un arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (la CJUE) d’un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité.
 
Aux termes de l’article 74 du Code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public. Il ne résulte ni de l’arrêt ni des conclusions de M. X..., de Mme X... et de la SCI Tiger devant les juges du fond que ceux-là aient contesté la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige.
Le moyen, présenté pour la première fois devant la Cour de Cassation, est donc irrecevable.
 
Mais sur le moyen relevé d’office, suggéré par les demandeurs ;
Vu l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité :
Il résulte de ce texte que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité et que les juridictions de l’État membre compétent pour ouvrir la procédure d’insolvabilité ont une compétence exclusive pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement (CJUE, 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte, C-296/17, point 36).
Par un arrêt du 4 décembre 2019 (C-493/18, Tiger e.a.), la CJUE a dit pour droit que l’article susvisé doit être interprété en ce sens que l’action du syndic, désigné par une juridiction de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, ayant pour objet de faire déclarer inopposables à la masse des créanciers la vente d’un bien immeuble situé dans un autre État membre ainsi que l’hypothèque consentie sur celui-ci, relève de la compétence exclusive des juridictions du premier État membre. Par le même arrêt, la CJUE a dit pour droit que l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’une décision par laquelle une juridiction de l’État membre d’ouverture autorise le syndic à engager une action dans un autre État membre, quand bien même celle-ci relèverait de la compétence exclusive de cette juridiction, ne saurait avoir pour effet de conférer une compétence internationale aux juridictions de cet autre État membre.
Par conséquent, l’action engagée par M. Z..., ès qualités, désigné syndic de la faillite de M. X... par la County Court de Croydon, ayant pour objet de faire déclarer inopposables à la masse des créanciers de la procédure d’insolvabilité les hypothèques consenties au profit de Mme X... sur les biens situés en France ainsi que la vente de ces biens par M. X... à la SCI Tiger, relève de la compétence exclusive des juridictions anglaises, peu important que le syndic ait été autorisé par la County Court de Croydon à entreprendre une action devant les juridictions françaises pour obtenir une décision qui permette la réintégration de ces propriétés dans le patrimoine du débiteur puis leur réalisation. Il en résulte que les juridictions françaises devaient se déclarer d’office incompétentes et qu’en ne le faisant pas, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Cass. com., 25 mars 2020, n° 16-20.520, P+B+I *
 
Liquidation judiciaire – associé coopérateur – retrait
« Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 23 janvier 2018), la société coopérative agricole Cave du haut Poitou (la coopérative) a été mise en liquidation judiciaire. La société F..., agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la coopérative, a assigné M. X..., en qualité d'associé coopérateur, en paiement d'une certaine somme au titre de la responsabilité de chaque coopérateur dans le passif de la coopérative.

Après avoir constaté que M. X... affirmait avoir quitté la coopérative en 1995 et que, ce faisant, il reconnaissait lui-même sa qualité de coopérateur, l'arrêt retient que la perte de la qualité d'associé coopérateur est soumise à un ensemble de règles statutaires précises et ne se perd pas par la cessation de livraison des récoltes. Il ajoute que M. X..., qui a souscrit des parts de coopérateur en qualité d'associé coopérateur en octobre 1971, ne justifie pas avoir notifié, à l'issue de la première période décennale de son engagement ou lors des périodes de reconduction tacite, sa volonté de se retirer dans les conditions prévues par les statuts, ni avoir reçu l'autorisation de se retirer au cours de ces périodes dans les conditions prévues par les statuts.
De ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel n'a pu que déduire, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que, faute d'avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, M. X... avait toujours la qualité d'associé coopérateur lors de l'ouverture de la procédure collective de la coopérative, peu important qu'il ait cessé tout apport ».

Cass. 1e civ.., 25 mars 2020, n° 18-17.721, P+B+I *


*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 25 juin 2020.
 
 
Source : Actualités du droit